Joël Kérouanton
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J’ai l’inconvénient d’être psychiatre (12 min’)

Il y avait des roumains, des polonais, des suisses, des italiens, des hollandais (pas des fans de François Hollande, non, de vrais hollandais en provenance de la Hollande), des allemands, des espagnols, des belges, des français dont Gilles Roland Manuel, un baroudeur de la psychiatrie qui en a vu des vertes et des pas mûres. Et j’étais là, au cœur de cet amphi Tom, immergé dans ce public polyglotte, l’ordinateur sur les genoux, cherchant à dire la langue d’un psychiatre qui ne l’avait pas dans sa poche.


Propos de Gilles Roland Manuel, librement recueillis

Amphi Tom, 9 février 2012.
Gilles Roland Manuel, psychiatre, face public.
Propos librement recueillis, lors des 1ères rencontres régionales européennes du travail social à l’IRTS Île-de-France.


Au passage j’salue Tom [1] en photo sur le mur de cet amphi, en présence des Papotins, j’salue aussi Lucien Bonnafé et Franco Basaglia croisés pendant ces aventures, ça fait quarante ans, ben oui quarante ans qu’à l’hôpital de jour d’Anthony (France, 92) et de Bourg-La-Reine (France, 92) on parcourt les routes en compagnie de jeunes gens autistes.

J’ai l’inconvénient d’être psychiatre mais. Ça va, j’l’assume. Depuis quelques années mieux qu’avant. J’dis ça parce qu’il y a eu beaucoup d’arrogance dans notre profession, c’est aussi contre ça qu’il m’a fallu construire des choses et les activités culturelles ont contribué notamment à nous rendre un peu plus modestes.

Euh, donc voilà.

J’suis dans un état de dettes et de reconnaissance vis-à-vis de ces jeunes gens, qui m’ont vraiment permis de sortir de chez moi – on est allé dans le monde entier avec eux. En Amérique, en Afrique, au Canada, dans toute l’Europe, avec des prestations artistiques quelques fois improbables, quelque fois magnifiques, Tom nous a d’ailleurs accompagné au Maroc lors d’un voyage totalement atypique. Là je reviens encore du Maroc où nous avons fait de la génétique rock’n’roll. Faut que je m’explique un peu, évidemment, mais.

Un des partis pris, quand on était invité à des congrès, c’était de venir avec les jeunes gens. Trouver toujours un moyen, une vraie place pour eux dans ces congrès. Alors ça limite un peu les congrès, tant mieux, et ça donne une configuration extraordinairement bizarre à ceux auxquels on répond : si j’avais le temps de vous raconter ça ce serait avec plaisir mais.

Bon on est allé un peu partout, notamment avec deux autistes en crises, et moi qui ne valait guère mieux, face au KGB dans un drôle d’hôtel de Moscou, bourré de prostitués et de leurs proxénètes, j’veux dire face à la Place rouge j’veux dire ce sont des situations, quand même, surréelles : on apprend plus de choses que dans un bureau à distribuer des médicaments.

On en distribue aussi mais.

J’voudrais dire aussi : le fait de monter sur scène pendant des années avec eux ne m’a pas du tout empêché d’exercer mon métier de médecin, de psychiatre en l’occurrence. J’trouve que ça m’a plutôt aidé à mieux l’exercer ; enfin j’peux m’tromper, il y a d’autres avis évidemment, mais en tout cas c’est le mien.

En ce qui m’concerne j’ai commencé à travailler dans un tout autre domaine, en réanimation cardiaque, puis en chirurgie cardiaque, des milieux extrêmement fermés, extrêmement lourds, où il y a énormément de souffrances chez ces professionnels qui sont pourtant l’élite de la médecine, et qui font souvent un très bon travail. Comme milieu fermé j’peux vous dire qu’il n’y a pas que les établissements et services médico-sociaux dont on parle ce matin, il y en a d’autres et moi j’les ai vécus assez douloureusement.

C’était à la belle époque – dans les années 70 – et j’me suis évadé vers la psychiatrie.

Donc j’ai passé l’internat de psychiatrie et j’suis devenu rapidement responsable de 150 malades en uniformes dans la magnifique Abbaye des Prémontrés, et j’peux vous dire qu’il n’y avait pas que l’Abbaye qui était magnifique.

C’était un univers médiéval.

Le jeune bourgeois paumé que j’étais n’a pas pu – et j’pense que c’était de bonne guerre – n’a pas pu assumer. Je faisais ce que j’pouvais. J’travaillais énormément mais.

Pas pu assumer le drame humain qui se déroulait sous mes yeux.

Vous n’me croirez pas mais. Les jeunes gens dont on s’occupe à Anthony ou à Bourg-La-Reine, ce sont les mêmes que ceux que j’ai vu enfermer et qu’on donnait à manger dans des.

c’est épouvantable, si j’le
dis vous ne me croirez pas
donc ça ne sert à rien que
j’vous l’dise
et puis si

dans des espèces de cages à 60 ou 70, au service de défectologie, où il y avait de la merde, du sang au plafond, par terre, sur les murs exetera.

ALORS J’M’ÉTAIS RENDU COMPTE QUE J’M’ÉTAIS PIÉGÉ MOI-MÊME. QUAND ON VOIT DES CHOSES PAREILLES (qui sont heureusement en grande partie amendées – pas complètement), ON PENSE BEAUCOUP MOINS À L A PHILANTHROPIE, À CES PAUV’ P’TITS GAMINS ENFERMÉS, QU’À SAUVER SA PEAU.

J’suis désolé de l’dire mais c’est la vérité : moi ça m’a donné envie de sauver ma peau en m’disant : j’ai choisi ce métier-là (je n’vais pas non plus changer de métier tous les six mois), j’ai choisi ce métier-là et j’vais essayer de le tenir, parce que c’est un métier très intéressant, mais on pourra m’raconter c’qu’on veut, c’est un métier très intéressant mais pas dans ces conditions-là. Alors j’me suis fait une promesse à moi-même : plus jamais ça. Mais on a beau faire des promesses à soi-même, après faut trouver les moyens de les tenir.

Voilà.

Alors, ma motivation de départ, que j’ai toujours assez mystérieusement aujourd’hui – j’suis un vieux monsieur – ma motivation de départ, toujours aussi vive, c’est de ne pas me laisser enfermer dans des situations pareilles.

C’que j’ai gardé de vif ? Le sentiment qu’il y a une réciprocité, un destin commun. Un destin qui devait impliquer des solidarités si possible pas imbéciles, si possible pas fusionnelles. On parlait de distance tout à l’heure, à juste titre mais. Quand même, la distance implique aussi l’éloignement. Si on veut que ce soit encore humain, il faut trouver la bonne distance qui implique des partages mais.

Est-ce que c’est la pédophilie ? La sexualité facile exetera ? Evidemment pas.

Est-ce que c’est le commerce, c’est-à-dire l’exploitation ? Ça peut être, et elle a été réalisée, la tentation de trouver là une main d’œuvre à bon marché. Il y a beaucoup de malades mentaux qu’on fait travailler, si possible dans les meilleures conditions mais.

Alors, c’est très joli de dire : le partage ! On a à faire toujours aux mêmes personnes.

Les militants.
Les religieux.
Les convaincus.
Les généreux.
Exetera.

Et c’est super.

Il y a là-dedans des gens extraordinaires mais.

On bute vite sur un certain nombre de limites. Curieusement, cette limite peut être résumée dans une espèce de slogan plus ou moins idéologique : IL FAUT TOLÉRER LA DIFFÉRENCE. Je vois dans vos yeux qui ne sont pas totalement endormis – des fois j’arrive à m’endormir moi-même, j’vais essayer de ne pas vous endormir – j’vois donc dans vos yeux pas encore endormis « Ah, la tolérance : attention ! ». Vous n’avez pas tord.

Vigilance par rapport à ce terme !

La différence est ornée de toutes les couronnes sociales possibles et imaginables mais. La différence est aussi un mot un peu galvaudé. On met deux minutes de côté cette terminologie indispensable « Tolérer la différence », et on inverse. Et on dit : « Tolérer la similitude ».

Ben oui.

Si l’on voit des personnes handicapées, des personnes qui ont perdues la boule, des autistes ou d’autres heu, voilà, si on veut pouvoir partager quelque chose avec ces personnes, faut bien qu’il y ait des points communs ! Faut bien qu’il y ait des similitudes pour qu’on se dise qu’au moins nous sommes des êtres humains exetera,

la chanson habituelle.

C’est pas du tout révolutionnaire, c’que j’vous raconte là, c’est une réalité. Et cette réalité, moi, m’a servi – parce qu’on s’accroche un peu aux bastingages, ça tangue en permanence dans ces histoires-là – ça m’a beaucoup servi à se dire : cherchons les similitudes, cherchons les partages et c’est ça qui permet aussi d’assumer une certaine distance, parce qu’elle est néanmoins nécessaire.

Donc la solidarité ne devient plus indécente, y compris avec des gens en mauvais état. Vous voyez donc qu’on n’est pas dans la révolution permanente ! On est dans quelques évidences dont on a un peu oublié la pratique.

Alors :

Tout est parti de la pratique éducative. Parce que dans les hôpitaux de jour et dans les Instituts-médico-éducatifs (IME) ce sont essentiellement des éducateurs, avec d’autres professionnels bien sûr, mais c’est surtout parti des éducateurs.

Moi c’que j’faisais quand j’embauchais par exemple des éducateurs de Montrouge – ils étaient assez nombreux – c’était d’leur demander ce qu’ils foutaient en dehors d’être tombé dans la trappe éducative. Généralement ils n’osaient pas me répondre mais. Il y avait quelques fois des p’tites choses en bas de leur CV où ils disaient faire du vélo, de la voile, du théâtre exetera, ouh là je vois que le temps passe déjà, il me reste combien de temps ?
— « À peu près dix minutes »
— « Bon ça va »

Euh, donc on leur demandait, à ces éducateurs : — « Qu’est ce que vous faites » en même temps qu’on leur disait : — « Il y a une place ici pour un mot indécent ou compliqué ou dangereux mais sympathique, c’est la subjectivité. Il y a une place ici pour votre subjectivité, c’est-à-dire pour ce que vous êtes, indépendamment de vos diplômes, de votre métier exetera : ce que vous pouvez nous apporter en tant que personne nous intéresse ; on va le mettre en chantier ».

Là j’fais un raccourci parce que les étapes sont longues et compliquées, mais en gros s’il y a quelque chose que vous faites ici, intra-muros, ça existe aussi à l’extra-muros. Et le but c’est que nos jeunes gens – vous vous souvenez qu’on a dit qu’on allait lutter ensemble contre cet isolement qui les touche eux et qui les touche nous – donc on va essayer de voir si on peut, au moins en imagination, transposer ce que vous allez faire ici dans un atelier, en l’occurrence artistique, pour le porter à l’extérieur.

On s’est battu 15 ou 20 ans pour faire venir des artistes dans nos institutions et j’ai envie de foutre tout ça au panier car c’était compliqué, on n’avait pas de budget exetera.

Stop !

On a eu bien fait de le faire.

Maintenant le temps est peut-être venu que les institutions culturelles et artistiques qui nous entourent nous soient accessibles – il y en a plein, si vous faites un périmètre à deux kilomètres, vous allez en trouver plein.

L’accessibilité ce n’est pas que pour les fauteuils roulants. J’espère que les artistes ne vont plus venir chez nous – on ne verra plus leurs sales gueules – mais qu’on aille voir leurs sales gueules chez eux.

C’est mieux.

En tout cas ça peut être complémentaire : l’ouverture ce n’est pas simplement cette idéologie imbécile de considérer que tout ce qui est à l’extérieur est bien, et sous entendu nous qui sommes à l’intérieur des établissements, des boîtes de formation où on est ici par exemple ce matin, sous entendu de considérer que tout est caca boudin.

Nos lieux de formation sont aussi des havres de Paix, des lieux de Réflexions, des lieux de Plaisir, des lieux de Rencontres exetera. Et puis il y aussi toutes les contraintes, évidemment. Il y a vos formateurs qui vous embêtent, des intervenants comme moi qui vous racontent des trucs qui vous emmerdent, il y a tous ces inconvénients mais.

Soyons moins manichéens et considérons que l’ouverture c’est : faire rentrer dans un lieu fermé et que ce lieu fermé aille à l’extérieur.

Et donc :

On a tout de suite fait le projet de s’adresser – alors qui est bon ou qui est mauvais, ça ce n’est pas à moi de le dire – on a tout de suite fait le projet de s’adresser à un public tout venant. Au festival Futur composé on est quarante établissements en déroute, en sinistrose exetera mais. On se marre bien tous les deux ans à préparer un festival où finalement tout ce qui est art plastique, théâtre, danse, musique, Papotin, machin exetera, c’est France Télécom.

France Télécom.

Vous connaissez France Télécom ?


On est allé leur demander quelques sous pour Percujam, vous connaissez Percujam ? Un groupe de musicien étonnant basé à Bourg-La Reine, à côté d’là. Un groupe de musiciens autistes. J’allais donc quêter un peu France Télécom pour avoir quelques ronds et ils m’ont dit : — « Apparemment vous faites pleins de choses mais. Vous êtes particulièrement maladroit, parce qu’on n’y comprend rien, c’est dispersé exetera. Réunissez un peu tout ça et puis faite un festival pour que ce soit plus lisible, parce que vous voulez toucher des subventions ».

Elle a raison cette dame. France Télécom, les ministères, ce ne sont pas mes potes a priori. Ils sont devenus un peu mes potes parce que j’suis vieux et puis j’suis plein de compromis et de rhumatismes.

Donc.

Elle disait en l’occurrence quelque chose d’intéressant.

Et donc on l’a fait.

Et donc au début il y avait sept-huit établissements, maintenant il y en a quarante, on fait des espèces de casting et il faut bien évidemment illustrer un discours un peu abstrait par un fait concret (pub) : au mois de juin 2012, pour la 12e année du festival Futur composé, on a eu l’idée de monter une histoire impossible. Ça se passera au Théâtre Monfort, Paris 15e, un très beau théâtre de 500 places, on fait une co-production avec eux – j’vous ai même amené des programmes. Déjà l’année dernière c’était le Mahâbhârata, [2] si vous voulez c’est 250 000 vers dédiés aux Dieux indou, personne n’a rien compris mais. C’était absolument magique. Ça avait une dimension poétique, nos jeunes gens étaient là avec leur petit truc, ça donnait un relief à la royauté qui était incroyable (Gilles Roland Manuel lâche son micro tandis que ses bras se mettent subitement en mouvement, il ose une danse des mains représentant à la fois la gestuelle de la danse boliwood et la gestuelle stéréotypée et répétitive des « jeunes gens « ). Tout ça est possible par la présence d’un metteur en scène et de comédiens professionnels – parce qu’on fait toujours un mélange dans ces spectacles, et si possible de comédiens hypers connus du grand public, et de nos jeunes autistes qui sont moins connus, mais qui le deviennent.

Donc cette année on a imaginé que le Don Juan, le Don Juan de Mozart, rencontrait Carmen, la Carmen de Bizet. Ils auraient des trucs à se raconter – moi j’me suis demandé pourquoi personne n’y a pensé avant, faut vraiment travailler avec des autistes pour penser à faire se rencontrer ces deux-là. Ils se rencontrent, évidemment ça se passe mal, c’est tragi-comique, ça dure deux heures et demie (ce qui est épouvantable), et ça se passe dans une arène, pendant la Féria de Séville donc il y a des Matadores, il y a aussi du Flamenco et des Sévillanas, puis il y a des grands airs du répertoire, tout ça sous la houlette de Nathalie Dessay (Soprano) et de Laurent Naouri (baryton), qui sont quand même nos deux plus grands chanteurs lyriques français actuels,

bon c’est pas rien.

Et donc tout ça se passe très bien, et comme vous pouvez vous l’imaginez il n’y a pas que l’enjeu artistique, il y a aussi les rencontres improbables, les déplacements d’un lieu à un autre, des moments inoubliables au café, exetera, sans compter l’Opéra Comique qui nous invite, ça redonne le moral quand même, on va aller faire une ou deux prestations chez eux.

Mais. Dans cette bande de fou furieux, il y a à peu près le tiers d’éducateur, le tiers d’éducateur et un psychiatre en déroute comme moi. J’suis président de l’association, alors quelque fois j’siège sur mon trône. Mais assez rarement, faut mettre la main à la pâte, ce n’est pas simple, imaginez-vous pour trouver des lieux, exetera.

Du 19 au 24 juin, vous verrez une illustration de ce que j’raconte. Notre histoire impossible s’appelle Les amants de Séville.

C’est comme le mercredi matin (re-pub), ici vous n’êtes pas très loin du Théâtre Lucernaire, allez faire un tour au comité de rédaction des Papotins ! Ça fait 20 ans que nos jeunes gens font ce comité de rédaction, allez-y, ça vaut une soirée au Crazy horse ! C’est d’ailleurs au Lucernaire que Tom s’est fait photographier en compagnie des Papotins, ils sont beaux sur ce mur de l’institut, ils donnent envie de penser, tiens, de penser à eux, de penser à lui, de penser tout court. Dans ce comité de rédaction j’peux vous dire qu’il y a des autistes de 18 établissements qui sont sous la houlette de Driss El Kesri, qui est tout de même un éducateur comme vous, heu non, p’têtre pas, il n’est pas tout à fait comme vous,

parce qu’il a fait ça.

En principe c’est à la portée de chacun donc tout le monde s’y est mis mais. Je sens que je ne veux pas du tout vous parler de ce que j’avais prévu, il reste quatre minutes, j’avais prévu un truc génial, forcément génial.

En gros, comment ça marche cette histoire de théâtre. Je voulais vous parler de la scène, la salle, les coulisses où il se passe des tas de choses, à mon avis très structurantes. Moi j’ai vu une fois un jeune ne pas aller bien et que ce mal-être soit de toute évidence lié à une expérience théâtrale. En 30 ans, c’est quand même pas beaucoup et voilà : j’me pose des tas de questions sur ce qui fonctionne là-dedans, probablement des questions d’identité qui sont remaniées et j’voulais juste soumettre à votre réflexion, pour conclure, cette idée du corps de l’autiste, cette idée du corps qui fuit, ces jeunes gens passent leur temps à fermer les portes, les fenêtres, souvent ils ne peuvent pas faire caca dans des toilettes qu’ils ne connaissent pas parce que il y a le tuyau qui part vers l’inconnu.

Il y a probablement quelque chose qui ressemble à une perte de soi ou à une non-étanchéité de l’enveloppe. Ça c’est de la clinique. On remarque ça mais on a beaucoup de mal à mettre des mots là-dessus et vous avez devant vous des vieux comme moi qui finissent par dire : « Ben voilà ça ressemble à ça ou à ça ».

Donc boucher les fuites et coller des rustines.

Voilà.

Vous avez tous entendu parler de ce monstre sacré qui est la Psychothérapie institutionnelle. Un vieux machin qui disait que l’institution – concept initié à l’hôpital La Borde, en l’occurrence avec Guattari et Oury, pour signifier l’établissement ou le lieu d’accueil – l’institution servait finalement de deuxième peau, et qu’il fallait connaître tous les mécanismes, tous les organes sous cette peau et la peau elle-même, pour que ça fasse effet identitaire, c’est-à-dire qu’on passe du corps propre à une espèce de peau qui est la peau de l’institution. Alors ça m’a fait réfléchir, parce qu’il n’y a pas que La Borde et la Psychothérapie institutionnelle même s’ils ont eu le grand avantage de mettre l’accent là-dessus : des corps il y en a beaucoup : le corps familial, le corps social exetera.

Alors :

On part du corps propre du fou, ou le vôtre, ou le mien. On passe au corps familial, puis au corps institutionnel, ça peut être l’école, la gendarmerie tout ce que vous voulez, on arrive au corps social et puis le corps mondial. Telles des poupées russes, ce qui me paraît intéressant à travailler, ce sont les interfaces entre ces différents corps : vous avez déjà eu la diarrhée ?

Hein, vous avez déjà eu la diarrhée ?


La diarrhée c’est un cataclysme de caca. Y a-t-il un rapport entre ma diarrhée et un cataclysme climatique ? Entre ma petite personne et le corps mondial ? Est-ce que c’est intéressant de savoir s’il y a un rapport entre les deux formes de cataclysme ? Et bien je vais vous le dire, et je vais conclure avec ça.

Entre le corps d’un jeune autiste – il s’appelle Victor –, et le corps familial, il y a la position de martyr de sa mère, parce que ce jeune autiste tape sur sa mère dès qu’il est paumé sur le plan horaire. Victor ne sait pas lire l’heure, n’a aucune notion du temps et le quincailler en bas de chez lui, ajouté au journal de 20h00 de Poivre d’Arvor, c’est sensoriellement son repérage : si jamais le marchand décale la fermeture (généralement 19h15), le temps n’est plus le même entre le rideau du magasin qui se baisse et l’apparition de poivre d’Arvor dans la télé familiale : c’est râpé pour Victor il se précipite sur sa mère.

Donc l’institution, qui est encore un troisième corps – le corps institutionnel –, et bien l’institution a essayé de colmater ça et n’y est jamais arrivé.

Il se trouve que ce gamin est musicien. Il joue très bien. Il fait partie de Percujam qui maintenant fait des tournées nationales voire davantage. Et Victor va très bien, en tout cas il n’est plus violent depuis qu’il est à Alternote – une structure à côté d’ici. Alternote est un Foyer d’accueil médicalisé qui a été construit non pas pour des personnes handicapées ou en fonction du handicap mais. En fonction – et ça change tout – de ce que les personnes handicapées savent faire ou ce qu’ils aiment faire.

Donc,

construire une nouvelle enveloppe sur des éléments positifs.

Un corps, une enveloppe, passant par des processus identificatoires produit ici par Alternote, a finalement réussi à colmater les fuites – le changement d’état de Victor s’est passé du jour au lendemain.

Voilà. C’est un exemple.

Quand on voit que souvent la culture ou les activités artistiques sont considérées comme la cerise sur le gâteau, pour moi ça n’est absolument pas le cas et c’est c’qui donne une certaine valeur à notre réunion de ce matin.



[1] Stanislaw Tomkiewicz né en 1925 à Varsovie et décédé le 5 janvier 2003 à Paris, est un psychiatre et un psychothérapeute d’enfants et d’adolescents.

[2] Un Mahâbhârata création par la Cie Casalibus et les artistes du Futur Composé, avec la participation d’Anne-Sophie Lapix et Christophe Dominici.


écrit par Joël Kérouanton _ licence Creative Commons BY-NC-SA (pas de © )
1ère mise en ligne 20 novembre 2015.

© Photos  _ Marie-Christine Giraud 


TEXTE PUBLIÉ PAR LA FONDATION INSTITUT DU TRAVAIL SOCIAL ET DE LA RECHERCHE SOCIALE, 2012. Titre original : « Tolérer la similitude ». En savoir plus